Vélo itinérant et inspirant

Stan Muraczewski
5 min readAug 8, 2021

​Anxieux des premiers jours.

Comme à mes premières aventures.

Comme si cela faisait longtemps que je n’avais plus mis mon corps à l’épreuve de l’inconnu.

L’inconnu d’une destination, d’une rencontre, d’une journée, d’une nuit.

Anxieux mais heureux.

Camping sauvage interdit ?

Entendu au détour d’une supérette, la question reste suspendue.

Sommes-nous des sauvages ?

Si oui, alors nous devrions pouvoir le faire. Si non, alors nous avons beaucoup trop d’estime dans notre lignée Sapiens.

Quelque part au-dessus de Le Cheylard.

Une montée sans fin. Il faut imaginer le train qui prenait ce même rail. Des voyageurs sans effort, sans sueur.

C’est beau. L’Ardèche c’est beau.

Ça fait mal au dos, aux jambes, aux fesses, mais alors qu’est ce que c’est beau.

Un coup l’on se croirait quelque part en Amérique du Nord, aucune ligne de séparation des voies puis des conifères à droite et à gauche, ça et là une coupe forestière violente.

Un autre coup, une montagne volcanique avec ces rapaces qui virevoltent et cherchent l’ascendant chaud.

Enfin, une dernière image rien que pour vous ; une grande ligne électrique montée sur des poteaux doubles en bois, bien droits, direction bien droite, ça découpe les champs nettement à travers les clôtures faites d’amas de roches. Les vaches en train de p​aî​trent, puis au loin le soleil qui tape sur les bottes de foin fraîchement roulées, leur ombre projetée au sol mis à nu. Ça sent le far west, l’homme qui tirait plus vite que son ombre ne doit plus être très loin.

Je me suis trompé.

Nous l’avions tout juste frôlé, l’Ardèche. Un peu comme l’on caresse le lion du bout de la main, de peur d’y laisser quelque chose de soi.

En repartant du lac d’Issarlès, en franchissant ce col en sortie de village, nous avons ensuite replongé directement dans la gueule de l’animal. La tête dans le guidon, les insectes contre les lunettes, le sourire grand et large, l’air chaud chatouillant les mollets.

Verdure verdoyante où se cache la faune, routes gravillonneuses à souhait, nuages menaçant d’orages. Il n’y a plus le choix, il va falloir rester attentif.

Dernier virage avant le col.

À droite, concerto de cloches accrochées aux cous des belles vaches blanches, à gauche, explosion de couleurs des fleurs bleues, jaunes, violettes et rouges.

La sueur goutte, la nature nous gâte.

La vérité, c’est que les Français ont peur.

Ils n’ont pas peur des noirs, des Arabes ou des autres, ils ont peur tout court.

L’accueil à demi-mot et là non-joie de voir le voyageur passer dans son hameau fait froid dans le dos et mal au moral. À cela s’ajoutent les nombreuses discussions de chemin où l’on nous dit de “faire attention, avec tout ce qui se passe aujourd’hui”.

Les gens ont peur à cause des faits divers, les uns vrais et les infos.

Bien sûr on ne peut pas généraliser, mais alors cela semble en dire long sur le besoin de s’ouvrir de nouveau au monde.

Eteindre la télé, ouvrir un livre, couper les réseaux sociaux, parler avec ses voisins, engager le débat, …

S’ouvrir, pas pour échanger plus de marchandises ou payer des salaires moindres, mais bien pour ouvrir son esprit et son cœur.

La politique du vélocipède.

Depuis une semaine, la majorité des vélocyclistes croisés sur la route sont équipés de vélos électriques.

Ce matin au café de Pied-de-Borne, le retraité de la bande nous alpague avant de partir : “c’est des vrais vélos ça !”

Pas une ni deux on lui fait remarquer ce qu’il avait déjà constaté, trop de vélos à assistance électrique. Tout un tas de gens incapables de pédaler à la simple force de leurs guibolles.

Autant vous le dire, c’est un sujet hautement politique et en pré-campagne présidentielle, les partis devraient s’en saisir.

La question à répondre : comment répondre au mouvement des vélos électriques ?

L’extrême gauche dirait que cela n’est bon que pour rendre les pauvres encore plus pauvres, diviser les classes inférieures et faire travailler les Boliviens dans des mines de lithium pour les batteries. La gauche n’aurait pas d’avis, seulement celui qui lui permettrait de se diviser en elle-même d’autant plus. Le centre, le cul entre deux selles, comme d’habitude. La droite serait bien évidemment contre cette société d’assistanat électrique et supprimerait la prime mobilité. Et l’extrême droite enfin, voudrait simplement, dans un premier temps, que tous les cyclistes équipés d’un moteur portent un fagnon de couleur jaune au niveau du bras.

Conclusion, les cyclistes en vélo à assistance électrique ça fout les boules quand ils vous doublent sans transpirer.

Tonnerre de Saint-Enimie.

Il est tôt ce matin, une heure peut être deux heures du matin. La foudre frappe le Causse de Méjean et ses gorges alentour.

Dans notre trou, 600 mètres plus bas en face de la rivière du Tarn, l’écho dans le creux frappe les rochers et parois pour faire le tour des gorges. Comme des tribus de tambours qui se répondent, les poils se dressent d’effroi et d’excitation.

On s’imagine petit, fragile et impuissant. Séparé de la nature et ses forces par deux couches de nylon et deux arceaux en aluminium, comme seules fausses preuves de notre contrôle de la nature et notre ingéniosité.

Combien avant nous, dans cet endroit où les dinosaures ont laissé des traces, ont eu le même sentiment dans la nuit face à l’orage ?

L’histoire n’est donc qu’une grande répétition.

À ce qu’il se dit, la qualité de la représentation finale ne tient qu’à nous.

Peu d’inspiration sur les derniers jours du chemin.

Pourtant, on a vu des empreintes de dinosaures, rencontré un imprimeur de poèmes sur roulettes et lu des histoires de résistants dans les Cévennes à faire pleurer dans les chaumières.

Ami, entends-tu la fin du voyage dans nos plaines ?

Ami, entends-tu la rouille s’attaquer à ta chaîne ?

Retour à la civilisation, et quelle civilisation !

En train jusqu’à Nîmes, une mamie refuse de se déplacer de la zone dédiée au vélo pour raison qu’elle “y est bien”.

Coup de pied entre les jambes, L’Humanité se plie de douleur et la civilité s’étouffe sous le coup à la glotte.

Quand les gens n’ont plus que ça pour se sentir exister, ils font chier les autres.

Les vieux ont besoin d’amour et de se sentir reconnus, je propose de le leur donner, en échange on reprendra les portes vélos du TER.

--

--

Stan Muraczewski

Entrepreneur, écolo, sportif / Ecouter. Apprendre. Améliorer. Changer / www.zerowasteshoes.com